Gustave Flaubert, Madame Bovary, Ed. Pocket, 1990, page 242.
La lune, toute ronde et
couleur de pourpre, se levait à ras de terre, au fond de la prairie. Elle
montait vite entre les branches des peupliers, qui la cachaient de place en
place, comme un rideau noir, troué. Puis elle parut, éclatante de blancheur,
dans le ciel vide qu’elle éclairait ; et alors, se ralentissant, elle
laissa tomber sur la rivière une grande tache, qui faisait une infinité
d’étoiles, et cette lueur d’argent semblait s’y tordre jusqu’au fond à la
manière d’un serpent sans tête couvert d’écailles lumineuses. Cela ressemblait
aussi à quelque monstrueux candélabre, d’où ruisselaient, tout du long, des
gouttes de diamant en fusion. La nuit douce s’étalait autour d’eux ; des
nappes d’ombre emplissaient les feuillages. Emma, les yeux à demi clos, aspirait
avec de grands soupirs le vent frais qui soufflait. Ils ne se parlaient pas,
trop perdus qu’ils étaient dans l’envahissement de leur rêverie. La tendresse
des anciens jours leur revenait au cœur, abondante et silencieuse comme la
rivière qui coulait, avec autant de mollesse qu’en apportait le parfum des
seringas, et projetait dans leurs souvenirs des ombres plus démesurées et plus
mélancoliques que celles des saules immobiles qui allongeaient sur l’herbe.
Souvent quelque bête nocturne, hérisson ou belette, se mettant en chasse,
dérangeait les feuilles, ou bien on entendait par moment une pêche mûre qui tombait toute seule de
l’espalier.
à ras de : la
nivelul ;
troué : găurit,
perforat ;
se
ralentissant: incetinindu-se ;
tordre : a răsuci, a
suci;
écailles:solzi;
nappes: întinderi;
seringa : iasomie-de-grădină ;
saule :
salcă ;
bête :animal ;
hérisson :
arici ;
belette : nevăstuică;
pêche:
piersică ;
mûre : coaptă ;
espalier :
spalierul ;
Marcel
Proust,
Du côté de chez Swann, EDDL,
1996, premiers pages :
Longtemps, je me suis
couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient
si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. »
Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil
m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans
les mains et souffler ma lumière ;
je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions
avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais
moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de
François Ier et de Charles Quint. Cette croyance survivait pendant quelques
secondes à mon réveil, elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des
écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir
n’était plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme
après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du
livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt
je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une
obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon
esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible,
comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait
être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou moins éloigné,
comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les distances, me décrivait
l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte vers la station
prochaine ; (…)
André
Gide, Si le grain ne meurt, Paris,
Librairie Gallimard, Ed. De La Nouvelle Revue Française, 43, rue de Beaune (
VIIe ), page 31et les suivantes ;
Le souvenir que j’ai
gardé d’elle me représente les traits un peu durcis déjà par âge, la bouche un
peu sévère, le regard seul encore plein de sourire, un sourire qui pour un rien
devenait du rire vraiment, si frais, si pur qu’il semblait que ni les chagrins
ni les déboires n’eussent pu diminuer en elle l’amusement extrême que l’âme
prend naturellement à la vie. Mon père avait, lui aussi, ce même rire, et
parfois Mademoiselle Shackleton et lui entraient dans des accès d’enfantine gaîté auxquels je me
souviens pas que s’associât jamais ma mère. (…) déboire : gust
rău lăsat de
o băutură ; decepţie, dezgust;
Le soir tombait déjà
quand enfin nous sortîmes d’entre les berges du fleuve. Le village était encore loin, dont
faiblement parvenait jusqu’à nous le son angélique des cloches; pour s’y rendre,
un indistinct sentier hésitait à travers la brousse...
indistinct: neclar, nelămurit,
confuz, vag;
brousse: hăţiş,
mărăciniş;
berge: mal
râpos ;
Mon grand’père était mort
depuis assez longtemps lorsque je vins au monde ; mais ma mère l’avait
pourtant connu, car je ne vins au monde que six ans après son mariage. Elle m’en
parlait comme d’un huguenot austère, entier, très grand, très fort, anguleux,
scrupuleux à l’excès, inflexible, et poussant la confiance en Dieu jusqu’au
sublime. Ancien président du tribunal d’Uzès, il s’occupait alors presque
uniquement de bonnes œuvres et de l’instruction morale et religieuse des élèves
de l’école du Dimanche.
pousser : a împinge; huguenot:
calvinist;
No comments:
Post a Comment